Samedi 26 mars 2005 : en ce paisible Samedi de Pâques se déroule, en toute discrétion, un événement considérable sur notre colline favorite. Mademoiselle Liu Zhang, attachée culturelle à l’Ambassade de Chine à Paris, accompagnée de Monsieur Tchang Lu Wenfu, de l’université de Shanghaï, viennent s’initier aux mystères castelrennais. L’ODS, en liaison avec l’Atelier Empreinte, pilotent nos découvreurs. Il est devenu banal de dire que la Chine se développe à une vitesse stupéfiante et qu’une fraction sans cesse croissante de sa population s’enrichit rapidement. Mais on ne sait pas nécessairement que les autorités chinoises, dans le cadre de la gestion d’une véritable boulimie consumériste, préparent activement une politique agressive de tourisme international au profit de leurs concitoyens. Nous sommes habitués aux déferlantes japonaises. Il faut désormais se préparer aux déferlantes chinoises. Et Rennes-le-Château est susceptible de rentrer dans le cadre de l’un des programmes touristiques concernant la France, au même titre que Paris ou les châteaux de la Loire. Pourquoi ? Vous l’avez deviné ! En raison du Da Vinci Code dont la version chinoise connaît un succès foudroyant dans l’Empire du Milieu. A tel point du reste que Tchang nous expliquera que le Prieuré de Sion est devenu un thème de recherches à l’Institut d’étude des religions occidentales Les chinois sont passés d’une idéologie figée, le marxisme-léninisme, au culte forcené du Dieu consommation. Et se retrouvent face à un vide spirituel qui explique le retour en force des traditions et de ce que l’on pourrait appeler la religion sans nom : les temples dévolus aux divinités d’une religion populaire renaissent alors que les sectes prospèrent. A tel point que les autorités ont du interdire, en 1996, le mouvement Falujong dont la capacité de mobilisation était devenue insupportable. La fascination exercée par le Prieuré s’inscrit dans cette mouvance, même si elle reste aujourd’hui encore cantonnée aux milieux intellectuels et universitaires. Pierre Plantard, en stage dans l’au-delà, doit être fier de lui !
Nous visitons le Domaine, et je me rends compte de la difficulté d’expliquer l’affaire castelrennaise à des interlocuteurs obéissant à un formatage très différend du notre. Chaque fois que j’avance un élément, j’ai droit à « mais pourquoi ? » et j’y perds rapidement mon latin….. De façon un peu lâche, je renonce à démonter la mystification du grand Chyren. Ce sera pour une autre fois, il faut d’abord absorber les bases !
Midi, nous nous dirigeons vers l’église qui se vide des fidèles ayant participé à la messe pascale du village. Monsieur le Maire vient me saluer et je lui présente Liu. Il est manifestement impressionné puisque, quelques semaines plus tard, sur Europe 1 et à l’occasion de la nième émission sur le DVC, il fera allusion à l’arrivée des chinois à RLC. Il précisera même faire préparer des plaques métalliques sur lesquelles serait gravée, en chinois, l’histoire de notre colline. Belle initiative qu’il devrait doubler, après la reprise par la municipalité des « Pommes Bleues », par l’ouverture d’un restaurant chinois. Je propose comme enseigne « le Lotus Bleu ».
Nous terminerons la journée à l’Auberge Cathare de Couiza où, sur nos conseils, nos amis testerons le cassoulet local. Commentaire de Liu : « un peu gras ». Bon !
22 et 23 juillet 2005 : Shanghai est un champignon qui pousse à vitesse accélérée. La vieille ville des concessions (française et anglaise) est étouffée par quelque chose de bien plus grand que la Défense et de légèrement plus petit que New York. Buildings de verre et d’acier, grands hôtels internationaux, banques américaines, restaurants de luxe, boîtes tendance et publicités agressives sur d’immenses écrans plasma.
Nous sommes au Bar Rouge, sur le Bund, avec notre vieil ami Jeansac de Borlay, diplomate à la retraite, et attendons nos hôtes chinois. Tchang arrive, toujours aussi raide dans sa chemise Mao. Liu est restée à Paris. Il est accompagné de Qing Ma Liangliang, une superbe créature dont les yeux noirs jais évoquent tous les mystères de l’Orient. Qing est la secrétaire du Bureau du Tourisme Franco-Chinois et chargée de l’élaboration des programmes touristiques sur la France. Elle nous confirme, dans un français impeccable, que Rennes-le-Château sera bien inclus dans un tour d’une semaine dans le Midi de la France et souhaiterait nos suggestions pour « garnir » ce voyage.
Nous poursuivons la discussion au « South Beauty Restaurant », dans le quartier de l’ancienne concession française. Un restaurant ultra-moderne dans lequel il y a au moins trois ou quatre serveurs par client ! Et il faut bien cela eu égard à la sophistication des plats. La pièce de travers de porc ressemble au viaduc de Millau. Une arche gigantesque ! Jeansac, en vieux cathare toulousain, est intarissable dès lors qu’il s’agit de faire découvrir sa région. La bouche dégoulinante de sauce sucrée, il vante les mérites de Montségur, Peyrepertuse et Quéribus. Avec comme il se doit une petite escale à Cucugnan. Qing le dévore des oreilles. En attendant les plaquettes métalliques de Monsieur le Maire, Tchang me demande de rédiger un petit papier de présentation généraliste sur Rennes-le-Château. Avec bien sûr un léger zeste de Prieuré de Sion. Je lui passe la maquette de mon article dans VSD sur lequel il me promet de revenir demain. Les nouilles arrivent…. Elles fument au fond d’immenses glaçons sphériques évidés…..
Nous rentrons à notre hôtel, le Hyatt à Pudong. Un hôtel situé dans une des plus haute tour du monde, la tour Jinmao. L’établissement commence au 54 ème étage. La piscine est au 56 ème. Je m’endors avec en fond d’écran le sourire de Qing.
Après une mini grasse matinée –décalage horaire oblige-, nous repartons avec Jeansac en direction de l’Institut d’étude des religions occidentales où nous attendent nos amis. La chaleur est humide et étouffante, mais nous décidons d’arpenter à pied la Fuzhou lu, une des artères principales du vieux Shanghai, afin de jeter un œil à la Cité du Livre avant notre rendez vous. Le mot cité est tout à fait approprié. Une Fnac serait ici l’Atelier Empreinte. Imaginez plutôt les Galeries Lafayette du Boulevard Haussmann à Paris transformées en librairie. C’est colossal et noir de monde. Les chinois, debout, assis, agglutinés, feuillettent les ouvrages dans une soif collective de culture. De façon surprenante, il est très facile de se repérer, le contenu des rayons étant indiqué en chinois et en anglais et beaucoup de bouquins portent le titre et le nom de l’auteur également en anglais. Les œuvres de Dan Brown sont faciles à localiser : ce sont les piles les plus hautes ! Les chinois n’ont du reste pas à rougir : tous les thrillers du Maître de la Conspiration sont traduits en mandarin, alors que les pauvres français doivent se contenter (du moins à la minute où je parle) de deux titres.
Nous arrivons devant l’immeuble de l’Institut avec quelques minutes de retard. Nous restons pourtant paralysés quelques secondes en remarquant l’immense 666 gravé sur la façade….. Qing est gracieusement moulée dans un tee shirt noir où un diablotin grimaçant susurre : « God is busy ; can I help you ? » Tchang n’a toujours pas digéré son manche à balai….. Il nous pilote au travers des batteries de bureaux, salles de réunion et bibliothèques au look très design ; l’ordinateur est roi ici et les écrans plasma clignotent dans tout le bâtiment. Nous arrivons dans l’antre de l’universitaire, bureau qui ressemble plus à celui d’un cadre dirigeant d’entreprise qu’à celui d’un chercheur dans le domaine des religions….. Il tient absolument à nous montrer son trésor : une copie des Documents Secrets du Prieuré de Sion qu’il a fini par obtenir de la BNF après moultes palabres sur internet. Je n’ose pas lui dire que ces papiers douteux ont été rassemblés par Pierre Jarnac en trois fascicules disponibles dans notre librairie.
Nous passons, avec le précieux matériel, dans une salle de réunion pour une séance de travail : une explication de texte sur le Prieuré de Sion que je ne peux plus maintenant éviter….. Le silence devient de plus en plus dense au fur et à mesure que je parle. Jeansac toussote, mal à l’aise. Qing explose soudain d’un bruyant éclat de rire, ce qui a pour effet de détendre immédiatement l’atmosphère. « Tout cela est donc une grosse farce ! ». Les questions fusent et nos interlocuteurs sont de plus en plus stupéfaits face à la qualité de la machination. « J’espère que nous ne vous avons pas découragé dans votre projet de visite ? » s’inquiète l’ex diplomate. « Évidemment que non » rétorque Qing, « car Rennes-le-Château reste un haut lieu du tellurisme » ! J’ai déjà entendu cela quelque part !
Nous partagerons un dernier repas, cette fois au Meilongzhen, un immense restaurant situé dans les anciens locaux tape à l’œil du Parti Communiste Chinois. Dois-je préciser que je n’ai pas du tout été séduit par le concombre de mer, sorte de tuyau avec une bouche et un anus……
A bientôt les amis sur la Colline qui vous attend !